Montréal: une ville pour qui  ?

Une grande question ressortait au terme de l’audience de la Commission populaire itinérante qui s’est déroulée à Montréal, le 7 novembre  : «  Le droit au logement peut-il être compatible avec la recherche absolue de profits, la spéculation, la marchandisation de l’habitat et de la ville  ?  » Si elle avait été posée aux 250 personnes qui ont entendu la cinquantaine de témoignages présentés, la réponse aurait clairement été non.

Des thèmes entendus tout au long des autres audiences de la Commission ont évidemment été abordés  : coût beaucoup trop élevé des loyers, discrimination et harcèlement de la part de propriétaires, insalubrité des logements… Ce dernier enjeu a largement été touché sous l’angle de ses conséquences sur la santé, entre autres par une infirmière de l’organisme La Maison bleue qui se rend à domicile pour aider les femmes enceintes et les jeunes enfants.

D’autres problématiques ont été mises en lumière. Ce fut notamment le cas de la spéculation foncière et de l’embourgeoisement de plusieurs quartiers populaires. Le POPIR Comité-logement a carrément parlé de «  condoïsation  » des quartiers du Sud-Ouest de Montréal et de «  privatisation  » des politiques publiques d’aménagement urbain désormais pensées en seule fonction du développement immobilier privé.

Le Comité logement Ville-Marie a, pour sa part, évoqué la baisse du nombre de logements locatifs dans cet arrondissement du centre-ville de Montréal et montré comment l’envolée de la valeur foncière se répercutait sur le coût des loyers.

Quant au Comité logement du Plateau, il a dénoncé la «  conversion déguisée de logements locatifs en condos  », subterfuge permettant de contourner le moratoire sur de telles transformations en passant par la copropriété indivise, de même que les reprises de logement. Plusieurs témoignages de locataires du Plateau, de Villeray ou de Verdun ont permis d’illustrer les manœuvres utilisées par des propriétaires pour s’en débarrasser et éventuellement transformer les logements ainsi vidés en condos.

L’ampleur et la diversification du phénomène de l’itinérance ont également été démontrées. Le Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM) a expliqué que l’itinérance continue à s’aggraver à Montréal, les ressources connaissant à l’année longue un taux de fréquentation moyen de 90 %. Les maisons de chambres continuent de disparaître. De nouveaux visages de l’itinérance apparaissent de plus en plus clairement, celles de personnes de plus en plus âgées, de femmes, de personnes immigrantes et d’Autochtones. C’est pour toutes ces raisons que le RAPSIM a réitéré sa demande d’une politique globale en itinérance.

Encore plus dur

Les témoignages d’organismes comme Solidarité sans frontières, Femmes du monde, Projet Genèse de Côte-des-Neiges, le Comité d’action de Parc-Extension et Action-Dignité Saint-Léonard ont illustré jusqu’à quel point les personnes et les familles plus récemment arrivées au pays sont exposées aux pires abus  : discrimination lors de la location d’un logement, accès aux logements les plus insalubres, harcèlement, menaces, etc. La situation est encore pire pour les ménages sans statut ou à statut précaire qui, de surcroît, n’ont même pas droit à un logement social. Solidarité sans frontières s’est attardée à démolir le mythe voulant que les ménages immigrants aient accès aux logements sociaux avant les autres. L’organisme en a appelé à la solidarité entre les personnes mal-logées, quel que soit leur statut.

Des organismes intervenant auprès de jeunes en difficulté comme Hébergement Saint-Denis, le Bureau de consultation jeunesse et Passages ont montré comment il leur était difficile d’arriver à se trouver un premier logement. Non seulement ces personnes sont-elles victimes de préjugés et de discrimination lorsqu’elles sont en recherche d’un logement, mais les propriétaires exigent presque systématiquement d’elles des cautions qui ne peuvent venir de leurs parents… avec lesquels elles sont souvent en conflit.

Les problèmes rencontrés par les personnes âgées ou handicapées ont aussi été exposés, notamment par le Comité logement Rosemont. Ex æquo a défendu la nécessité de l’accessibilité universelle des immeubles et des logements pour favoriser l’équité entre les personnes et l’inclusion de toutes et de tous, quels que soient leurs limitations physiques. Une femme se déplaçant en fauteuil roulant en a donné des exemples concrets  : «  Il n’y a pas d’accessibilité s’il y a une, deux, trois marches  ». Elle a expliqué comment la location récente d’un logement avec accessibilité universelle a changé sa vie  : «  L’accessibilité universelle m’a redonné la liberté  ».

Action-Autonomie a pour sa part illustré les difficultés vécues par les personnes ayant des problèmes de santé mentale qui n’ont souvent accès qu’à ce que l’organisme a appelé le «  logement indigne  ».

Pour assurer le droit au logement

La faiblesse des protections légales à la disposition des locataires a été dénoncée tout au long de l’audience. L’importance du logement social a également été un thème récurrent.

Plusieurs témoignages en ont fait ressortir les bienfaits. Une locataire de Côte-des-Neiges qui s’est retrouvée sur le bord de l’itinérance a affirmé que «  son HLM lui avait sauvé la vie  ». Un locataire d’une maison de chambres achetée récemment par l’organisme Sac à dos a à peu près dit la même chose en un seul mot  : «  Enfin  !  ». Le Comité BAILS et le Cap Saint-Barnabé ont aussi témoigné d’une expérience actuelle de socialisation de maisons de chambres dans un coin du quartier Hochelaga-Maisonneuve aux prises avec des problèmes aigus de toxicomanie, de prostitution et d’itinérance. Ils ont expliqué à la fois la nécessité de la démarche, mais aussi ses difficultés.

Plusieurs groupes ont par ailleurs déploré la faiblesse du financement de nouveaux logements sociaux, les difficultés de plus en plus grandes vécues avec le programme AccèsLogis ou encore la compétition injuste avec les promoteurs de condominiums pour l’acquisition de terrains pour du logement social. Presque tous ont prôné la mise sur pied par la Ville de Montréal d’une réserve de terrains à des fins de logement social.

Harper n’a pas été épargné

La fin prochaine des subventions fédérales aux logements sociaux existants a été dénoncée par des organismes comme la Coalition de la Petite-Bourgogne, le Comité logement Rosemont, le Regroupement information logement (RIL) de Pointe Saint-Charles et la Fédération des coopératives d’habitation intermunicipale de Montréal (FÉCHIMM). Une membre du conseil d’administration de la Fédération a illustré l’enjeu en expliquant que «  toutes les coopératives d’habitation n’en mourront pas, mais toutes seront touchées  ».

Une locataire, membre du Comité d’action des citoyens et des citoyennes de Verdun (CACV), a utilisé plusieurs formules choc pour dénoncer l’absence de respect du droit au logement, dont une qui a directement interpellé les choix budgétaires du gouvernement conservateur de Stephen Harper  : «  C’est désastreux que les avions de guerre passent avant les êtres humains.  »