Retour d’Ottawa dans le logement : des avancées minces et fragiles

Photo : Véronique Laflamme

Il y a longtemps qu’un gouvernement, à Ottawa, n’avait pas parlé autant de logement que celui de Justin Trudeau. Après le règne pénible des Conservateurs de Stephen Harper qui a pratiquement ignoré les ménages mal-logés, les locataires à faible revenu habitant dans les logements sociaux, les personnes et les familles itinérantes et les communautés autochtones, il faut dire que la différence de discours était notable. Malgré l’adoption de la première Stratégie canadienne sur le logement, on peut dire que l’éléphant a accouché d’une souris.

Au terme de quatre ans de mandat libéral, l’accès à un logement adéquat est toujours une préoccupation quotidienne pour plus de 244 120 ménages locataires du Québec qui ont des besoins impérieux de logement parce qu’ils vivent dans un logement trop cher, trop petit ou en mauvais état[1], ce, sans compter les milliers de personnes vivant de l’itinérance visible ou invisible. La pénurie actuelle de logements locatifs qui frappe plusieurs municipalités québécoises, dont Montréal, Gatineau, Laval et Longueuil, risque d’empirer la situation. Déjà, les conséquences se font durement sentir : accélération des hausses de loyer, augmentation des cas de discrimination, familles et personnes se retrouvant sans logis; des locataires sont dans l’obligation de quitter leurs milieux de vie.

Même si le gouvernement québécois, qui a laissé le programme AccèsLogis être gravement sous-financé pendant 10 ans, est en partie responsable de la crise actuelle, le gouvernement fédéral demeure le principal coupable du manque de logements coopératifs, sans but lucratif et publics.  Son retrait du financement du logement social en 1994 a privé le Québec d’environ 75 000 logements sociaux. Il a aussi mis fin au développement d’habitations à loyer modique (HLM) pour lesquelles près de 40 000 ménages sont actuellement en attente au Québec. Plutôt que de réparer les pots cassés en répondant aux besoins les plus urgents, la Stratégie sur le logement s’est éparpillée dans une foule d’initiatives qui, pour la plupart, rateront leur cible, produisant des habitations inabordables pour les ménages ayant de faible ou de modeste revenus.

Dans un rapport déposé en mars 2016, le Comité de l’ONU sur les droits économiques, sociaux et culturels s’inquiétait de la pénurie de logements sociaux au Canada et au Québec. La Stratégie canadienne sur le logement, annoncée en novembre 2017, n’a pas réglé le problème. Quelques sommes fédérales, issues du Fonds de co-investissement pour le logement, ont bien permis de boucler le montage financier (complexe) de projets comme la coopérative de logements étudiants UTILE à Montréal. Cependant, aucune somme n’a été dédiée spécifiquement au développement du logement social.

Au final, Québec aura reçu pour ses programmes en habitation l’an passé, du gouvernement fédéral, à peu près le même montant que sous les Conservateurs, dont à peine 40 millions $ ont servi pour le programme AccèsLogis, le seul qui permette de réaliser des logements sociaux.

Quant aux fameux 40 milliards $ en 11 ans, annoncés dans la Stratégie canadienne sur le logement, moins de 10 % (3,2 milliards $) des sommes sont prévues sur autant d’années pour un « nouveau partenariat fédéral-provincial-territorial ». Le Québec devrait recevoir environ 70 millions $ par année. Alors que des ententes bilatérales ont été signées avec l’Ontario, la Colombie-Britannique, le Nouveau-Brunswick et les Territoires du Nord-Ouest, au moment d’écrire ces lignes, Québec n’a toujours pas conclu d’entente avec Ottawa.

Depuis deux ans, le FRAPRU demande une accélération des investissements prévus dans la Stratégie canadienne sur le logement, des investissements ciblés essentiellement pour le développement de logements sociaux et des investissements pour soutenir les logements sociaux existants, incluant la rénovation et la modernisation des HLM. 

Dans son dernier budget avant les élections, le gouvernement Trudeau a manqué l’occasion de contribuer à redresser la situation.  Il a misé sur des mesures encourageant l’accès à la propriété et d’autres soutenant le développement de logements locatifs privés supposés être abordables, mais dont les loyers pourraient atteindre plus de 2000 $ par mois. Non seulement ça n’aide en rien les ménages locataires mal logés, mais ça risque de contribuer à la gentrification qui sévit dans certains quartiers centraux.

D’autres engagements de la Stratégie canadienne, comme celui de « contribuer directement à la création de nouveaux logements abordables et de logements sociaux » en rendant « des terres et des bâtiments excédentaires du gouvernement fédéral accessibles, à coût faible ou nul, aux fournisseurs de logements » ne se sont pas non plus concrétisés au Québec. Au moins deux terrains répondant à ce critère seraient tout désignés : c’est le cas du site du Bassin Peel, à Montréal, et des terrains de la Défense nationale, à Québec. Mais, dans un cas comme dans l’autre, des batailles s’annoncent indispensables pour qu’ils soient mis à la disposition de projets de logements sociaux et d’autres projets communautaires.

La situation de milliers de locataires à travers le Canada est aussi précaire aujourd’hui que lors de l’arrivée au pouvoir des Libéraux. Dans les provinces où des ententes ont été conclues, les sommes découlant de la Stratégie sont loin d’être suffisantes pour faire face à la crise du logement et aux besoins importants de rénovation des logements sociaux déjà construits. Alors que débute la campagne électorale fédérale, même si l’accessibilité au logement semble faire partie des préoccupations des partis en lice, les solutions qu’ils mettent de l’avant font la belle place à l’accès à la propriété et au marché privé. Il est temps de cesser de promettre des logements abordables, il faut garantir des investissements dans le logement social.


[1] Source : Recensement 2016. Commande spéciale du FRAPRU à Statistiques Canada.