Une même vision économique

« La prospérité actuelle et future dépend avant tout des investissements privés. Il faut donc prendre les moyens nécessaires pour accompagner les investisseurs et faire en sorte qu’ils trouvent au Québec un environnement favorable pour venir y créer des emplois et de la richesse ».

Cette phrase n’a pas été prononcée par Philippe Couillard ou François Legault. Elle provient plutôt du document soumis par le gouvernement péquiste de Pauline Marois pour sa consultation en vue du budget 2014-2015.

La pensée économique appliquée au cours des décennies par tous les gouvernements, quelle qu’en soit la couleur, est concentrée dans ces mots: créer toujours plus de richesse et, pour ce faire, attirer les investisseurs privés, en leur offrant un environnement favorable aux plans fiscal, règlementaire et autres. À les écouter, c’est à ce prix et à ce prix seulement qu’on peut générer des emplois, maintenir les services publics et préserver les politiques sociales.

Or, loin de permettre une réelle redistribution de la richesse, comme on ne se lasse pas de nous le promettre, cette vision économique contribue plutôt à la croissance des inégalités sociales. Il est vrai que les écarts de revenus réels se sont moins élargis au Québec que dans le reste de l’Amérique du Nord, mais ils ont bel et bien grandi. Il y a 25 ans, le 1 % le plus riche de la population québécois s’accaparait 7 % des revenus. Ce pourcentage est aujourd’hui de plus de 10 %. De 1992 à 2010, le fameux 1 % a vu ses revenus après impôts progresser de 54 %. C’est 2,4 fois plus vite que ceux du reste de la population[1].

La fiscalité et les finances publiques : du pareil au même… ou presque

La fiscalité et les finances publiques y sont pour beaucoup dans cet élargissement des écarts de revenus. Au début des années 2000, après des années de déficits budgétaires, les gouvernements, tant libéral que péquiste, ont profité des premiers surplus pour abaisser les impôts des particuliers, comme des entreprises. Dans les deux cas, ce sont les plus riches qui en ont davantage profité. Tout cela a du même coup fragilisé les finances publiques qui n’ont pas résisté à la crise économique et financière de la fin de la dernière décennie.

L’ex-gouvernement libéral de Jean Charest a choisi de s’attaquer à ce retour au déficit par une réduction des dépenses, faite au détriment des services publics et des programmes sociaux, mais aussi par le recours à de nouvelles sources de revenu. Or, contrairement à l’impôt sur le revenu, elles touchent plus durement la classe moyenne et les ménages à plus faible revenu que les mieux nantis. C’est ainsi que le gouvernement Charest a augmenté de 2 % la Taxe de vente du Québec (TVQ), qu’il a créé une taxe santé de 200 $ par personne, qu’il a tenté de faire exploser les frais de scolarité et qu’il a annoncé une hausse majeure des tarifs d’électricité.

Or, le Parti québécois, qui s’était fait en bonne partie élire en surfant sur le rejet de ces mesures libérales et qui avait promis de renoncer à certaines d’entre elles, s’est contenté de les moduler différemment. Contrairement à la promesse faite durant la campagne électorale, la Taxe santé a, pour l’essentiel, été maintenue et elle est tout juste un peu moins injuste que ce qui avait été prévu par le gouvernement précédent. La hausse des frais de scolarité est moins brutale que celle prévue par Jean Charest, mais ils sont condamnés à augmenter année après année. Quant à la hausse des tarifs d’électricité, le PQ a décidé d’aller de l’avant, au lieu de faire marche arrière, comme il s’y était engagé. Les compressions budgétaires, elles, continuent de plus belle. Le budget 2014-2015 présenté avant les élections nous promet même une hausse additionnelle de tarifs touchant cette fois les garderies.

Pendant ce temps, le gouvernement péquiste a imité ses prédécesseurs en fermant les yeux sur les privilèges fiscaux accordés aux contribuables à plus haut revenu et aux grandes sociétés.

Même si sa plate-forme électorale de l’été 2012 promettait d’ajouter deux paliers d’imposition pour les contribuables à plus haut revenu, il n’en a finalement introduit qu’un. C’est ainsi qu’en 2014, tous les individus ayant des revenus supérieurs à 100 970 $ paieront 25,75 % d’impôt sur tous les montants dépassant cette somme. Ceux qui gagnent 200 000 $, 500 000 $ ou 1 000 000 $ paieront exactement le même pourcentage.

Quant aux gains de capital réalisés par exemple à la vente d’immeubles ou d’actions boursières, à peine 50 % d’entre eux continueront d’être soumis à l’impôt. Le PQ s’était pourtant engagé à porter ce pourcentage à 75 %, mais il a fait marche arrière aux premiers signes de ce que le député libéral Jean-Marc Fournier a appelé « l’angoisse fiscale ». Or, ce privilège, qui profite surtout aux plus riches, a coûté 958 millions $ au gouvernement québécois en 2012-2013, 556 millions $ dans l’impôt des particuliers et 402 millions $ dans celui des sociétés.[2]

La Coalition opposée à la tarification et à la privatisation des services publics, dont le FRAPRU est membre, évalue à 10 milliards $ les gains qui pourraient être réalisés en mettant fin aux mesures fiscales injustes et en adoptant des programmes qui génèreraient des économies importantes, par exemple dans le domaine du médicament. Le gouvernement péquiste a balayé toutes les alternatives proposées du revers de la main, comme l’ex-gouvernement libéral l’avait fait avant lui. Les deux ont préféré prendre la voie de l’austérité budgétaire, avec toutes ses conséquences sur les services publics et les programmes sociaux.

 


[1] Francis Vailles, « Les riches au Québec », La Presse, 9/1/2014.

[2] Ministère des Finances du Québec, Dépenses fiscales – Édition 2012-2013, tableaux A 6 et A 7.