Certification des résidences : protection des locataires âgéEs ou désengagement de l’État?

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Neuf ans maintenant que ce dossier avance, recule, fait demi-tour et avance encore un peu…

Le 1er février 2007, la première version du Règlement sur les conditions d’obtention d’un certificat de conformité de résidence privée pour aînés (L.R.Q., c. S-4.2, r.5) entre en vigueur et vient s’assurer que tout exploitant d’une résidence privée pour aînéEs (RPA) détienne un certificat de conformité. À l’époque, cette certification était plus respectueuse des personnes et de la mission des OSBL d’habitation et certains critères ne s’appliquaient qu’aux RPA offrant des aides à la vie quotidienne (AVQ). Il faut comprendre que le panorama est diversifié dans le monde du logement pour les aînéEs. Alors que certaines personnes âgées ont besoin de soins quotidiens, nombre de personnes de plus de 65 ans sont entièrement autonomes et ne recherchent qu’un endroit où elles peuvent partager des repas ou des activités et vivre dans un logement de qualité abordable en fonction de revenus de pension souvent réduits.

L’importance de distinguer les types d’habitation

En 2011, le décès d’une personne âgée ébouillantée dans son bain dans un Centre d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) crée un scandale médiatique; le gouvernement revoit alors le processus de certification et l’encadrement des services offerts dans les RPA, en faisant fi des différentes missions et réalités du milieu des OSBL d’habitation. Le Ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), qui « omet » de différencier le milieu des CHSLD avec celui des RPA à but lucratif et celui des RPA sans but lucratif, décide de changer la certification sans consulter les différents acteurs en logement social. Du coup, la majorité des OSBL d’habitation dédiés aux ainéEs a décidé de se décertifier, de peur de devoir se plier à des critères trop exigeants. La nouvelle réglementation ne respecte en aucun cas la mission des OSBL d’habitation pour aînéEs car elle s’appuie maintenant sur le nombre de services inscrits au bail. Dès le moment où une RPA en OSBL d’habitation offre deux services, elle est obligée de se certifier.

Suite à l’incendie dramatique à L’Isle-Verte, en janvier 2014, qui a fait 32 morts, on fait une fois de plus l’amalgame entre le milieu privé lucratif des RPA et le milieu des OSBL d’habitation. En octobre 2015, un nouveau projet de règlement voit le jour. Supposément remanié pour assouplir les critères et ainsi reconnaître le côté distinct des RPA dédiées aux aînéEs autonomes, il semble plutôt ajouter des contraintes. Dans cette dernière version, la régularité de l’offre d’un service n’est plus prise en compte afin de décider si, oui ou non, la RPA doit être certifiée. Par exemple, le « service repas », qui devenait déterminant s’il était offert 7 jours semaine (sur une base quotidienne) dans les anciens règlements de certification, se transforme en un critère de « repas disponible ». C’est-à-dire que la régularité, l’horaire ou le fournisseur n’a plus d’intérêt. Le simple fait d’offrir un repas EST un service en soi.

Les loisirs offerts par l’exploitant comptaient aussi comme un service. Étonnamment, ceux dispensés par un comité de résidentEs pourraient également compter si le nouveau projet de règlement ne connait pas d’évolution dans les mois à venir. Nous imaginons déjà la complexité pour que les RPA continuent de favoriser l’organisation d’activités par et pour les locataires tout en évitant de se certifier.

Avec de telles exigences de certification, n’est-ce pas une tangente vers la privatisation des services de santé en faisant jouer aux RPA autonomes un rôle jusque là réservé aux CHSLD? La fermeture de places en CHSLD et le manque de places en ressources intermédiaires viennent alourdir la clientèle des RPA et augmentent la demande de services, alors que ce n’est pas la mission de base de ces organismes. Également, nous pouvons remarquer qu’avec les multiples coupures des services à domiciles des CLSC, plusieurs organismes d’économie sociale se retrouvent à offrir ces services. Mais cette sous-traitance à un prix : il n’est pas rare de retrouver des préposéEs payéEs 12,50 $ de l’heure, contrairement à des salaires et avantages sociaux beaucoup plus élevés dans le réseau public. Plutôt que de vouloir forcer les RPA à modifier leur approche, le gouvernement ne devrait-il pas réinvestir pour augmenter le nombre de places offertes dans les ressources prévues pour offrir des soins et de l’encadrement, soit les CHSLD?

Non-certification : contraintes et désavantages pour les personnes âgées autonomes

Le nouveau projet de règlement sur la certification viendrait également compliquer la construction de nouvelles RPA. Suite à des cas de décès causés par des brûlures par eau chaude, des coroners auraient recommandé à la Régie du bâtiment du Québec d’introduire des exigences plus sévères pour les nouvelles installations de plomberie. La température maximale à la sortie du robinet de la baignoire et de la pomme de douche passe maintenant à seulement 43 degrés Celsius. Ces mitigeurs d’eau coûtent chers et ne sont pas vraiment plus sécuritaires s’il faut se promener avec une bouilloire d’eau bouillante pour réchauffer son bain. Il semble s’agir là d’une forme d’infantilisation des personnes âgées autonomes.

Ne pas se certifier apporte également son lot de désavantages pour une RPA. Le crédit d’impôt pour maintien à domicile pour les locataires passe de 45$ à 9$. Plusieurs appellations sont aussi, depuis 2013, exclusives aux RPA certifiées. Il devient alors compliqué pour les organismes non-certifiés de recruter quand les gens doivent lire entre les lignes pour deviner que la vocation y est d’offrir du logement social pour les personnes âgées autonomes à faible revenu.

Le MSSS a tout de même fait un certain effort d’adaptation pour les RPA autonomes, en faisant quelques exceptions. Exemple, les mesures de surveillance communautaires sont maintenant reconnues et il met fin à l’obligation d’avoir une surveillance avec formation de préposé pour les RPA de moins de 50 locataires.

Bref, certaines questions restent en suspens concernant la certification. Va-t-elle vraiment servir à sauver des vies? Quel est le nombre de personnes âgées qui ont plus de 65 ans et qui n’ont pas besoin de toutes ces règles de sécurité? Leur est-ce nécessaire d’avoir une surveillance 24h/24 et un mitigeur d’eau sur leur baignoire? À qui va réellement profiter cette obligation de certification des RPA? L’évolution du dossier reste à suivre.

par Jean-François Carrier, Intervenant au soutien communautaire à la Fédération des OSBL d’habitation de Montréal (FOHM)