Des occasions manquées pour répondre aux besoins des mal logéEs

La crise profonde vécue par de nombreux ménages locataires québécois risque d’être fortement accentuée par la crise économique générée par la pandémie. La crise sanitaire a aussi eu l’effet imprévu de faire exploser les transactions immobilières, ce qui a notamment augmenté le prix des logements. La hausse dans ce secteur ne sera pas sans conséquence et risque d’accentuer la pression sur le marché locatif et les locataires déjà victimes d’évictions frauduleuses. Dans ce contexte, alors que plusieurs organisations appellent à une relance économique porteuse de justice sociale et à des mesures pour venir en aide aux ménages à faible et modeste revenus, les annonces faites jusqu’ici par les gouvernements Trudeau et Legault sont clairement insuffisantes.

Du côté de Québec, ce sont les projets de loi 66 et 67 qui font jusqu’à maintenant office de mesures de relance. Le premier inclut des mesures permettant l’accélération de projets d’infrastructure, mais rien n’y est prévu pour accélérer la livraison du logement social. Le deuxième – au lieu de renforcer la loi pour mieux protéger les locataires contre les évictions – limite le droit des municipalités à réglementer les plates-formes de locations à court terme (comme Airbnb), en les empêchant d’interdire ou de limiter l’exploitation des résidences principales. Or, il est plus qu’urgent de protéger le parc de logements, notamment ceux à bas loyers. En bout de ligne, ce sont deux occasions manquées de faire autrement.

Au niveau fédéral, en bonne partie le résultat d’un recyclage d’engagements financiers déjà pris, les sommes initialement prévue par la Stratégie canadienne sur le logement (SCL) mise sur pied en 2017 se sont avérées très insuffisantes pour répondre aux besoins criants des ménages locataires. Pire, un peu plus de la moitié de ces sommes est financée à même la fin des subventions à long terme, versées aux ensembles de logements sociaux construits avant 1994, qui ont permis d’y maintenir des loyers rencontrant la capacité de payer des ménages à faible revenu qui y habitent. À leurs fins, quand Ottawa ne versera plus un sou, on peut craindre des augmentations de loyer conséquentes.

Malgré un discours du Trône (le 23 septembre dernier) énonçant la volonté du gouvernement Trudeau de faire plus pour le logement en bonifiant la SCL, en mettant en place l’Initiative de construction rapide de logements et en affirmant sa volonté de travailler avec les coopératives et les organismes sans but lucratif (OSBL) d’habitation sur le moyen terme, les détails de l’entente entre Québec et Ottawa se sont révélés décevants.
Cette entente prévoit 3,7 milliards $ sur dix ans, partagés à parts égales entre Québec et Ottawa. Le gros de ces sommes, 2,2 milliards $, servira pour la rénovation des logements sociaux construits avant 1994, incluant les 62 000 HLM du Québec. Elle permettra de les entretenir et de les rénover, mais aussi d’y maintenir des bas loyers pour les ménages occupants. Étant donné qu’Ottawa sous-estime les besoins de rénovation des HLM, ces sommes vont-elles être suffisantes?

Un autre des volets de l’entente vise à financer une allocation logement, un programme qui existe déjà au Québec et qui assure actuellement aux ménages à faible revenu une prestation mensuelle ne pouvant excéder 80 $ par mois. La contribution fédérale pourrait servir à la bonifier, mais les modalités restent à déterminer; les négociations n’étant pas terminées. Quoiqu’il en soit, ce type d’aide ne permet pas de réduire substantiellement le taux d’effort des locataires et, pire, risque de contribuer à l’augmentation du prix des loyers.

La plus petite enveloppe, 544 millions $, est celle dédiée au développement de nouveaux logements dits « abordables ». C’est inacceptable ! La part d’Ottawa, qui y consacrera seulement 272 millions $ sur 10 ans, est moindre que les investissements fédéraux de 2014 à 2019, sous les Conservateurs, qui étaient alors de 57,7 millions $ annuellement. La part de Québec inclut quant à elle des sommes déjà annoncées dans les précédents budgets du gouvernement.

Selon la ministre québécoise de l’habitation, Andrée Laforest, 544 millions $ permettraient de construire de 2800 à 4000 logements sociaux en dix ans. Or, non seulement cela est clairement insuffisant pour répondre aux besoins des 195 635 ménages locataires québécois qui engouffrent plus de la moitié de leur revenu pour se loger, mais il n’est même pas garanti que l’intégralité de cette somme soit spécifiquement réservée au développement du logement social.

La ministre Laforest affirmait lors de l’annonce de l’entente, que l’habitation était une priorité pour son gouvernement. Tout porte à croire que cela n’est pas encore le cas, puisqu’aucune nouvelle unité de logement sociale n’a été annoncée par le cabinet Legault depuis le début de son mandat.

Il est pourtant urgent que les deux gouvernements aillent au-delà du discours et agissent rapidement en faveur des ménages locataires, dont la situation va de mal en pis. Alors que le logement social est la formule la plus complète et la plus permanente d’aide au logement, celle dont les retombées sociales sont les plus importantes, en échappant notamment à la logique du profit, il est primordial que Québec et Ottawa le financent à la hauteur des besoins.