Encore plus pour le privé !

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Action pré-budgétaire au bureau de la ministre Monique Gagnon-Tremblay, novembre 2011, en Estrie (photo : Renard Blanc)

En mars 2015, le budget du gouvernement libéral de Philippe Couillard annonçait des dépenses de 123 millions $ en cinq ans pour l’ajout de 5800 unités de supplément au loyer sur le marché privé, soit 1000 en 2015-2016 et 1200 au cours des quatre années suivantes. Ce supplément permet la location de logements locatifs vacants, très majoritairement privés, pour y faire entrer des ménages à faible revenu qui y paieront le même loyer que dans un HLM, soit 25 % de leur revenu plus certains services.

Cette annonce coïncidait avec la coupe de 126 millions $ dans AccèsLogis, ce qui faisait passer le nombre de logements sociaux financés en vertu de ce programme de 3000 à 1500 par année. Bref, c’est la réduction du nombre de logements sociaux financés avec AccèsLogis qui a permis le financement du supplément au loyer privé. C’est pourquoi le FRAPRU a parlé de « privatisation partielle de l’aide gouvernementale au logement ».

Or, le budget 2015-2016 a confirmé ce tournant, en n’annonçant à nouveau que le financement de 1500 logements dans AccèsLogis et en invoquant la volonté gouvernementale de continuer à aller de l’avant avec la location de 5800 logements locatifs en cinq ans.

Un retour en arrière

Alors que le gouvernement Couillard invoque sans cesse la nécessité de moderniser ses programmes, supposément pour les adapter aux nouvelles réalités, le financement de nouveaux suppléments au loyer est un simple retour en arrière.

De 1986 à 1992, le Québec a, au total, financé quelque 7000 suppléments au loyer sur le même modèle, avec la participation du gouvernement fédéral. Ces suppléments reçoivent toujours du financement d’Ottawa et de Québec, mais aucune nouvelle unité n’a été ajoutée depuis le début de 1993, au moment où le gouvernement fédéral a annoncé qu’il se retirait du financement de tout nouveau logement social. La seule exception a été l’octroi de suppléments à des ménages qui se sont retrouvés sans-logis au début des années 2000, en raison de la sévère pénurie de logements locatifs qui sévissait alors.

S’il a délaissé le supplément au loyer privé, le gouvernement québécois, poussé en ce sens par les groupes comme le FRAPRU, a préféré miser sur la création de programmes permettant le financement de logements coopératifs et sans but lucratif, dont AccèsLogis, en place depuis 1997.

Les associations de propriétaires se sont toujours opposées à cette orientation, sous prétexte que le gouvernement leur faisait une « concurrence injuste », en finançant du logement social. Elles ont donc réclamé à grands cris le retour du supplément au loyer privé.

Or, le privé possède déjà une part disproportionné des logements locatifs. Au début de 2016, le Québec comptait quelque 142 000 logements sous la forme de HLM, de coopératives ou d’OSBL d’habitation. Si on met ce chiffre en rapport avec le nombre de logements locatifs au Québec lors de l’Enquête nationale auprès des ménages de 2011, soit 1 311 200, on peut évaluer que le logement social représente moins de 11 % du parc de logements locatifs. Tout le reste appartient à des intérêts privés et a pour but de faire des profits.

Voilà maintenant que le gouvernement sacrifie le financement déjà largement insuffisant de nouveaux logements sociaux pour se tourner vers la location de logements privés vacants! Ce serait une raison suffisante de combattre cette orientation, mais il y en a bien d’autres.

Une formule qui ne peut remplacer le logement social

Le supplément au loyer ne représente pas une forme d’aide permanente, au même titre que le logement social. Comme le Décret du 7 octobre 2015 autorisant les 5800 suppléments au loyer en cinq ans l’exprime : « chaque unité de supplément de loyer est accordée pour une durée maximale de cinq ans ».

Par ailleurs, même si le financement des suppléments était prolongé par le gouvernement, comme il l’a fait par le passé pour d’autres programmes, il n’est pas assuré que les propriétaires, eux, accepteraient de les conserver, une fois le contrat initial expiré. L’histoire a démontré que les propriétaires de logements locatifs ne sont intéressés par cette formule que lorsque les taux d’inoccupation sont élevés et qu’ils parviennent difficilement à louer tous leurs logements. Or, ils ont, au contraire, tendance à se retirer de ce type de programme lorsque les taux de logements inoccupés baissent, puisqu’ils peuvent louer leurs appartements à un prix plus élevé et sélectionner eux-mêmes leurs locataires.

De plus, contrairement au logement social, le supplément au loyer ne permet pas d’augmenter l’offre de nouveaux logements locatifs ou encore d’améliorer la qualité des logements existants dont une large proportion souffre de problèmes majeurs d’habitabilité et même de salubrité. Le supplément permet uniquement au gouvernement de louer des logements vacants dans l’état dans lequel ils sont. Le gouvernement affirme que les logements loués seront en bon état, mais il ne peut d’aucune façon garantir que ce sera le cas partout, d’autant plus qu’aucun budget additionnel n’a été octroyé aux offices d’habitation à cette fin.

Le supplément au loyer sur le marché privé pourrait également contribuer à une hausse des loyers. Le décret du 7 octobre 2015 prévoit que, pour qu’un logement soit déclaré admissible à un supplément au loyer, « le loyer au bail ne doit pas dépasser 110 % du loyer médian du marché reconnu par la Société ». Ne s’agit-il pas d’un encouragement à des propriétaires à offrir leurs logements à un prix de loin supérieur à ce qu’ils chargeaient auparavant comme loyer. Une fois augmenté, celui-ci ne baissera jamais.

À court terme, le gouvernement québécois réalisera des économies en remplaçant le financement d’unités d’AccèsLogis par l’octroi de suppléments au loyer à des propriétaires privés. Les économies seront cependant inexistantes, si le gouvernement décidait de les prolonger à répétition après les cinq premières années. Le coût d’un supplément au loyer ne s’absorbe en effet jamais; il augmente d’année en année, au fil des augmentations demandées par les propriétaires.

Pour toutes ces raisons, la lutte pour le financement d’un nombre suffisant de logements sociaux implique dorénavant l’opposition au retour en force du Supplément au loyer sur le marché privé. C’est à cette tâche que le FRAPRU s’attellera au cours de la prochaine année.

par François Saillant, coordonnateur du FRAPRU