La question de la pauvreté a été au cœur de nombreux témoignages lors de l’audience de Sherbrooke, le 13 novembre. La grave pénurie de logements qui y a sévi durant quelques années est terminée, mais elle a laissé des marques profondes. Depuis 2006, le loyer moyen y a augmenté de 16 %, sans que les revenus ne suivent pour autant. Les ménages à faible revenu se trouvent fréquemment coincés dans des appartements en mauvais état, voire carrément insalubres. « À Sherbrooke, ils sont 1 300 sur la liste d’attente des HLM », a rappelé Normand Couture, coordonnateur de l’Association des locataires de Sherbrooke qui organisait l’évènement en Estrie.
Alors que le taux de chômage et le nombre de personnes vivant de l’aide sociale y sont plus élevés que la moyenne provinciale, l’Estrie est aussi le lieu d’un nombre croissant de plaintes pour non-paiement de loyer à la Régie du logement. L’organisme de défense des droits Solidarité populaire Estrie a souligné que cette hausse marquée n’est pas étrangère à la pauvreté qui frappe durement les gens de la région. « Avec le niveau de l’aide sociale qui demeure inchangé, les ménages à faible revenu sont pris à la gorge ». Le porte-parole de l’Association des locataires a quant à lui rappelé que « la lutte pour le droit au logement sera terminée quand on pourra parler de pauvreté au passé ».
La pauvreté : un cercle vicieux
La Coalition sherbrookoise pour le travail de rue a pointé du doigt l’endettement qui guette les personnes à faible revenu. La question de l’enquête de crédit a aussi été dénoncée par le Service d’aide aux Néo-Canadiens, notamment pour son impact sur les personnes immigrantes qui n’ont pas d’historique de crédit ici et qui sont sans endosseur. Le prêt usuraire a aussi été évoqué ; certains propriétaires prêteraient de l’argent à des taux d’intérêt incroyables. L’Association coopérative d’économie familiale (ACEF) de l’Estrie a, quant à elle, mentionné que plusieurs locataires moins nantis choisissent des logements moins dispendieux mais qui s’avèrent beaucoup plus énergivores.
Le Centre des femmes du Granit (Lac Mégantic) a parlé de la grande pauvreté et de l’isolement que vivent beaucoup de femmes de la région. Une membre a pris la parole pour expliquer : « Couper dans ce qui est essentiel, comme la nourriture, c’est couper dans la dignité. Quand j’étais dans la rue et itinérante, je mangeais mieux qu’avec un logement ». Pour sa part, le Centre des femmes Memphrémagog a évoqué la pauvreté cachée des femmes qui côtoie opulence et richesse dans une ville comme Magog qui compte 232 millionnaires : « Elles préfèrent payer le prix de se taire ».
La prostitution, à laquelle doivent s’adonner plusieurs femmes pour arriver à payer leur logement, a été abordée à quelques reprises. En fin de Commission, une femme a ajouté la voix brisée : « Que les commissaires ne me demandent pas comment je paye mes fins de mois ».
Une jeune femme a livré un témoignage poignant en expliquant comment elle s’était retrouvée à la rue après avoir vécu pendant des mois dans sa voiture, faute d’avoir trouvé un logement abordable. L’organisme Qualilogis, qui offre du soutien pour la stabilisation résidentielle de personnes à risque d’itinérance, a fait état des problèmes auxquels se butent les personnes à faible revenu dans leurs démarches pour trouver ou garder un logement. « Comment tu veux te trouver une job quand pour payer ton loyer, tu peux pas te payer un téléphone, tu peux pas te payer de savon à linge ? », a demandé l’intervenant Patrick.
La Chaudronnée, qui offre des milliers de repas par année à des personnes dans le besoin, a parlé d’une augmentation de 50 % de la fréquentation de la ressource depuis 10 ans. Par ailleurs, Marie-Claude Vézina, coordonnatrice, a salué l’annonce récente et l’adoption prochaine d’une Politique en itinérance, mais a rappelé qu’il fallait qu’elle se traduise aussi en mesures concrètes.
Une « aberration »
Jacques Côté, de la Fédération des coopératives d’habitation de l’Estrie, a témoigné de la menace que représente la fin des subventions fédérales aux logements sociaux existants, dont les coops. Celle-ci en réduira substantiellement l’accessibilité financière aux ménages à faible revenu : « La fin des conventions, c’est comme une aberration… Les besoins sont pourtant criants. Le gouvernement se retire. Il ne veut plus utiliser les outils qu’il a lui-même élaborés. Nous, on veut continuer à accueillir des gens à faible revenu ! Ça nous prend l’aide du gouvernement ». Il a précisé que cet enjeu faisait déjà des ravages : 125 logements de la Fédération, et autant de ménages, ont déjà été touchés par la fin des conventions.