Cette analyse de la conjoncture en habitation a été rédigée en vue du 36ième congrès annuel du FRAPRU qui aura lieu les 27, 28 et 29 mai, à l’Université Laval, à Québec.
De nouveaux défis face à Ottawa
La défaite du gouvernement conservateur de Stephen Harper et l’arrivée au pouvoir du Parti libéral de Justin Trudeau posent de nouveaux défis dans notre lutte face à Ottawa.
Le budget présenté le 22 mars dernier par le ministre des Finances, Bill Morneau, a montré la volonté du gouvernement libéral d’investir des sommes substantielles en habitation pour s’attaquer aux problèmes de logement et d’itinérance, mais surtout pour relancer l’économie et l’emploi. Ce sont des investissements de près de 2,3 milliards $ en deux ans qui ont été annoncés à cette occasion.
De cette somme, 795 millions $ s’ajouteront, en 2016-2017 et 2017-2018, à l’initiative déjà existante baptisée Investissement dans le logement abordable, dont une partie sera spécifiquement destinée aux aînéEs et une autre à des refuges pour les femmes victimes de violence conjugale.
Le budget du dit Investissement dans le logement abordable, qui était jusque là de 253 millions $ par an, est du même coup porté à 675 millions $ en 2016-2017 et 626 millions $ en 2017-2018.
Pour un, le Québec, qui ne recevait jusqu’ici que 57,7 millions $ par an d’Ottawa pour tous ses programmes d’aide à des ménages mal-logés, devrait obtenir 153,9 millions $ cette année et 142,7 millions $ l’an prochain.
Le budget a aussi annoncé la « réaffectation » de 30 millions $ en deux ans afin d’aider les coopératives et les OSBL d’habitation, qui sont sous la responsabilité directe de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), à maintenir l’aide financière qu’ils accordent à leurs locataires à faible revenu. Ce coup de main fédéral n’est toutefois que temporaire. Le problème de la fin des subventions à long terme versées par Ottawa demeure donc entier pour les coopératives et les OSBL sous responsabilité fédérale, ainsi que pour tous les logements sociaux qui reçoivent du financement fédéral, mais qui sont gérés par les provinces et les territoires.
Le budget a aussi fait une série d’autres annonces :
- investissement de 574 millions $ en deux ans, dont 500 millions $ dès cette année, dans la rénovation des logements sociaux existants, pour y accroître l’efficacité énergétique et l’économie d’eau;
- investissement de 739 millions $ en deux ans pour la construction et la rénovation de logements dans les communautés autochtones;
- injection de 85,7 millions $ en deux ans (208,3 millions $ en cinq ans) dans un « fonds pour l’innovation en matière de logement locatif abordable »;
- consultation par la SCHL en vue de la création d’une initiative de financement dotée d’un budget de 500 millions $ par an permettant d’accorder aux municipalités et aux promoteurs de logements locatifs abordables des prêts à des taux d’intérêts avantageux;
- 111,8 millions $ de plus en deux ans pour la Stratégie des partenariats de lutte contre l’itinérance (SPLI).
En plus de toutes ces annonces, le budget Morneau a lancé un grand débat sur l’élaboration d’une stratégie canadienne sur le logement. Une consultation à cette fin devrait être menée dès cette année auprès des provinces, des territoires, des communautés autochtones, des municipalités et des « principaux intervenants ».
L’élaboration d’une stratégie sur le logement est une demande de très longue date des organismes pancanadiens intéressés à l’habitation, de même que des organismes de défense du droit au logement de tout le Canada. L’ex-Rapporteur des Nations Unies sur le droit au logement, Miloon Kothari, en avait aussi fait la recommandation, aux termes d’une visite d’observation au Canada, en 2007. Plus récemment, le 4 mars dernier, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l’ONU a pressé le Canada « de développer et de mettre en application une stratégie nationale sur le logement basée sur les droits humains ».
Le lancement d’un tel débat serait assurément bienvenu, si ce n’était qu’un des objectifs de la démarche est d’ « aider le secteur du logement social à devenir financièrement autonome ». Le plan budgétaire, présenté le 22 mars, insiste d’ailleurs sur cet objectif, dans son annonce de 30 millions $ pour la poursuite des subventions aux logements sociaux existants, en précisant que ce « soutien supplémentaire n’est que temporaire, jusqu’à ce que des approches à long terme pour aider le secteur du logement social à devenir financièrement autonome puisse être élaborées dans le cadre de consultations avec les provinces, les territoires et les intervenants » (p. 112).
Deux grands défis se posent suite à ce budget :
- faire pression à court terme pour que les fonds fédéraux supplémentaires reçus par la Société d’habitation du Québec (SHQ) servent à financer plus de logements sociaux que ce qui est présentement prévu;
- profiter du débat sur l’élaboration d’une stratégie canadienne sur le logement pour s’assurer qu’elle sera basée sur les droits humains, ainsi que pour réclamer des investissements à plus long terme du gouvernement fédéral afin 1) de maintenir les subventions à tous les logements sociaux existants et 2) de financer de nouveaux logements sociaux en nombre suffisant.
Il faut également faire en sorte que les organismes promoteurs de logements sociaux soient privilégiés dans l’octroi des prêts à bas taux d’intérêts que la SCHL accordera pour la construction de logements locatifs abordables et ce, même s’ils reçoivent des subventions gouvernementales au logement social.
AccèsLogis plus que jamais en danger
Le budget présenté le 17 mars 2016 par le ministre québécois des Finances, Carlos Leitão, a, quant à lui, maintenu les coupes annoncées dans AccèsLogis. Comme l’an dernier, ce ne sont que 1500 nouveaux logements sociaux qui ont été annoncés contre 3000 dans les budgets précédents. Le budget n’a par ailleurs pas rétabli les programmes et les subventions additionnelles qui, entre 2009 et 2015, permettaient de bonifier les sommes reçues dans AccèsLogis: Rénovation-Québec, subventions pour les « régions éloignées », subventions pour les projets novateurs. La disparition de ces outils est pourtant l’une des raisons pour lesquelles les logements annoncés lors des précédents budgets tardent à se réaliser.
Le vieil adage « Quand tu veux tuer ton chien, tu dis qu’il a la rage » convient parfaitement à l’attitude du gouvernement Couillard et de la Société d’habitation du Québec (SHQ) face à AccèsLogis. Il semble en effet évident qu’ils veulent remplacer ce programme qu’ils ont dénigré tout au long de l’année. Aux dires mêmes de la SHQ, un nouveau programme est en voie d’élaboration à Québec et nous n’en connaissons pour le moment qu’un objectif : coûter moins cher. Comment le gouvernement arrivera-t-il à cette fin? Le nouveau programme, qui pourrait ou non garder le nom AccèsLogis, permettra-t-il lui aussi de répondre à une variété de besoins ou sera-t-il restreint à la réponse à des besoins ciblés? Sera-t-il applicable partout au Québec? Quelle sera l’implication des organismes communautaires, dont les GRT, les fédérations de coops et d’OSBL, mais aussi les comités logement, dans ce programme?
Difficile de dire si ce programme sera créé et, si oui, à quel moment. Plusieurs étapes d’élaboration et d’approbation restent à franchir. On peut cependant craindre que les 1500 logements du budget dévoilé le 17 mars ne seront pas réalisés avec AccèsLogis, du moins sous sa forme actuelle. Il pourrait possiblement en être de même d’unités annoncées lors des budgets antérieurs.
Alors que le logement social nage en pleine incertitude, le gouvernement Couillard continue d’aller de l’avant avec les 5800 suppléments au loyer privé annoncés dans le budget de l’an dernier, soit 1000 en 2015-2016 (mais qui commencent à peine à pouvoir être utilisés) et 1200 à chacune des quatre années qui viennent. Insatiables, les associations de propriétaires en redemandent, en affirmant que le gouvernement finance trop de logements sociaux (sic) et que cela leur crée une compétition inégale.
Quoiqu’en disent ces associations, la tendance est nettement à la privatisation de l’aide au logement au détriment du logement social.
Par ailleurs, le Budget des dépenses 2016-2017 réservait une très mauvaise surprise aux programmes d’amélioration de l’habitat (Programme d’adaptation de domicile et Programme de réparations en région), puisqu’il ne prévoit que 3,8 millions $ à ce chapitre, alors que la prévision de dépenses était de 24,3 millions $ en 2015-2016, 48,2 millions $ en 2014-2015 et 76,1 millions $ en 2013-2014. Même si le ministre Martin Coiteux a voulu se montrer rassurant à cet égard, le 2 avril dernier, il n’y a pas de doutes qu’une coupe de cet ordre aura des répercussions sur la capacité de répondre aux besoins pourtant urgents d’adaptation de domicile pour les personnes en situation de handicap et de réparations pour les propriétaires pauvres vivant en milieu rural.
La disparition, au cours des dernières années, de programmes comme Rénovation-Québec et Logements adaptés pour les aînés autonomes, la marginalisation des programmes restants d’amélioration de domicile et le questionnement sur AccèsLogis posent de plus en plus ouvertement la question de l’avenir même de la SHQ. Les négociations en cours sur le statut de métropole de Montréal et de capitale de Québec pourraient précipiter les choses, si la responsabilité de l’habitation est transférée à ces deux villes et possiblement à d’autres entités municipales.
De plus, on ne peut que se scandaliser de l’indifférence apparente adoptée par le gouvernement Couillard et la SHQ face à la fin des subventions fédérales à long terme aux logements sociaux existants. Or, ce sont 87 500 logements sociaux du Québec entièrement habités par des locataires à faible revenu, dont tout le parc de HLM, qui seront affectés par ce phénomène qui va présentement en s’accélérant. Le manque à gagner que ce retrait fédéral causera dans les finances du gouvernement québécois a pourtant été clairement démontré dans des études faites par la SHQ.
Un budget qui ne répare pas les pots cassés
Dans son ensemble, le budget Leitão n’a pas entraîné de grands bouleversements. Comme c’était prévisible, il ne contenait pas de réinvestissement dans les services publics et les programmes sociaux malmenés au cours des dernières années, sauf en éducation où il n’était même pas à la hauteur. Le budget n’a pas non plus donné immédiatement suite à la recommandation de la Commission sur la fiscalité québécoise, présidée par Luc Godbout, de troquer une hausse de la Taxe de vente du Québec (TVQ) et de diverses tarifications contre une baisse des impôts. C’est l’opposition manifeste du milieu des affaires à une telle proposition qui semble avoir convaincu le ministre des Finances de reculer à ce sujet.
Le budget a par contre annoncé que le gouvernement devancerait d’un an l’abolition progressive de la Taxe santé, comme moyen de « soulager la classe moyenne ». Il est difficile de s’y opposer, puisque la Taxe santé, annoncée en 2010, s’est retrouvée au coeur de la lutte contre la tarification. La disparition de cette mesure, impopulaire à gauche comme à droite, créera cependant un trou de près de 1 milliard $ dans les finances publiques. Le budget ne contenait aucune mesure fiscale permettant de combler ce manque à gagner.
On peut craindre que le refus catégorique de mettre davantage à contribution les particuliers les plus cossus et les grandes entreprises, dont les banques, jumelé à la stagnation de l’économie et de l’emploi au Québec, créeront à terme les conditions de nouvelles coupes dans les services publics et les programmes sociaux. En attendant, le gouvernement continue de procéder aux compressions dictées par la révision permanente à laquelle il soumet maintenant tous ses programmes et politiques.
N’en doutons pas, la « réingénierie de l’État québécois » est toujours à l’ordre du jour à Québec, même si Philippe Couillard a renoncé à cette terminologie utilisée au cours des premières années de pouvoir de son prédécesseur libéral, Jean Charest. La révision en profondeur du rôle de l’État, pour le mettre encore davantage aux services des investisseurs, continue de se faire, bien que de manière plus subtile.
Le marché de l’immobilier s’adapte
En 2014, 8074 logements locatifs avaient été mis en chantier au Québec contre 14 142 unités de condominiums. Le problème était surtout concentré dans la région métropolitaine de Montréal et, dans une moindre mesure, dans celle de Gatineau. Sur l’île même de Montréal, la construction de condos était 4,2 fois supérieure à celle de logements locatifs.
Les choses ont commencé à bouger en 2015. À l’échelle du Québec, 13 020 logements locatifs ont été mis en chantier contre 9934 unités de condominiums. Même la région métropolitaine de Montréal a vu la construction de logements locatifs se rapprocher sérieusement de celles de condos (6928 contre 7860). La construction d’unités de condos était aussi en baisse sur l’île de Montréal, mais le logement locatif continuait à battre de l’aile, de sorte qu’il s’est mis en chantier 2,5 fois plus d’unités de condominiums.
Les chiffres ne sont pas encore disponibles pour tout le Québec, mais un communiqué de presse publié le 8 avril dernier par la SCHL nous apprend qu’au cours du premier trimestre de 2016, la construction de logements locatifs a dépassé celle de condominiums dans la région métropolitaine de Montréal (1318 contre 926). Grande nouveauté, c’est sur l’île de Montréal que la tendance est la plus marquée, avec la mise en chantier de 901 logements locatifs contre celle de 258 unités de condominiums. Cela vient confirmer la constatation que certains groupes font sur le terrain où la construction de logements locatifs à loyer très élevé semble damer le pion à celle de condos. Compte tenu de la saturation de ce dernier marché, les investisseurs semblent donc de plus en plus tentés par ce nouveau débouché.
Le projet de 326 logements locatifs à l’îlot Voyageur en est un exemple : les loyers prévus sont d’au moins 800 $ par mois pour les studios, 1500 $ pour les logements d’une chambre à coucher et un minimum de 2200 $ par mois pour ceux de deux chambres à coucher.
Ce phénomène, dont on devra vérifier s’il se poursuivra tout au long de 2016, en rejoint un autre, lui aussi en pleine expansion, soit la location d’unités de condominiums à des fins locatives. En 2015, 24 319 appartements étaient dans cette situation dans la région de Montréal, une progression de plus de 3000 par rapport à 2014. À Québec, il y en avait 3512 et à Gatineau, 2882.
Chose certaine, ce ne sont ni la construction de logements locatifs chers, ni la location de condos, qui accroîtront l’offre de logements réellement abordables. On peut aussi douter qu’ils contribueront à l’offre de grands logements locatifs pour les familles. Le taux d’inoccupation de ce genre de logements demeure très bas dans les centres urbains de l’Abitibi, particulièrement à Val-d’Or où il est de 0,7 %. Il en est de même dans plusieurs arrondissements de Montréal, comme Rosemont-Petite-Patrie (0,1 %), Ahuntsic-Cartierville (0,3 %), Anjou-Saint-Léonard (0,5 %), Plateau Mont-Royal (0,6 %), La Salle (0,8 %) et Dollard-des-Ormeaux-Pierrefonds (0,8 %).
Notons cependant que le taux général de logements locatifs inoccupés est égal ou supérieur à 4,0 % dans l’ensemble des régions métropolitaines de recensement et dans presque tous les centres urbains du Québec, ce qui n’est pas à même de convaincre le gouvernement du Québec d’investir dans la construction de nouveaux logements sociaux. Son choix de se tourner vers la location de logements locatifs vacants par le biais de supplément au loyer privé en sort plutôt renforcé. Le gouvernement pourrait en profite pour revenir à la formule de l’achat-rénovation en coopératives et en OSBL, comme c’était le cas à la fin des années 1990, mais il ne semble, pour le moment, pas du tout intéressé à le faire.