La crise du logement s’aggrave au Québec et le gouvernement se traine les pieds

Caravanes du FRAPRU, octobre 2011. Photo: Patrick Landry

L’économie « roule » au Québec; le taux de chômage atteint des planchers historiques (4,8 % en septembre), mais le droit au logement recule.  Le gouvernement Legault encourage la croissance économique de maintes manières, mais sans intervenir, ou si peu, au plan de l’habitation, abandonnant aux forces du marché les ménages qui ne profitent pas du développement économique. Pourtant, des solutions existent; elles sont requises maintenant.

Dans les grandes villes québécoises, la pénurie de logements s’enracine.  La Société canadienne d’hypothèques et de logement prévoit pour 2020 une nouvelle diminution des taux d’inoccupation des logements locatifs.  Parce que le logement est soumis à la logique du profit, comme une occasion d’affaires, cela va accélérer l’augmentation de la valeur des immeubles résidentiels et, dans la foulée, des loyers.  Des promoteurs, à la recherche de rendements juteux et rapides, procèdent à des rachats de baux, des reprises de possession pas toujours légales, ciblant entre autres les bâtisses où vivent des locataires de longue date et où les loyers sont généralement plus bas.  Des maisons de chambres, dernier rempart contre l’itinérance, sont achetées, mais pas entretenues, jusqu’à ce que les services d’incendie les barricadent.  Tous ces logements sont ensuite rénovés, transformés, voire démolis pour en construire davantage sur le même lot, pour devenir des condos, des logements chers ou des hébergements touristiques. Ultimement, les locataires à modeste ou à faible revenu qui y habitaient sont chasséEs vers des secteurs éloignés des services et des réseaux d’entraide et leurs quartiers gentrifiés, de moins en moins abordables. 

Dans les régions touristiques, comme en Gaspésie et aux Îles-de-la-Madeleine, des baux de huit mois sont trop souvent imposés, afin de réserver les logements pour la villégiature estivale, condamnant les locataires à l’itinérance quatre mois par année. 

Dans les territoires dévitalisés, les problèmes de logement s’aggravent également :  les services ferment, des gens partent et ne restent que ceux moins mobiles, plus vulnérables et plus pauvres.  Le parc de logements s’y détériore d’autant plus vite que s’ajoutent les effets désastreux des changements climatiques. 

C’est l’économie de marché dans tous ses excès.  

Si les conditions de vie des plus précaires se détériorent à vitesse grand V, toutes et tous pâtissent de l’accroissement du prix du logement, même l’État, car cette frénésie intéressée n’est pas sans conséquences sur les coûts de santé et de l’éducation, ni sur l’aggravation de l’itinérance et des tensions sociales. 

Pour calmer les ambitions des affairistes, le gouvernement pourrait donner un signal fort en investissant massivement dans le logement social, sans but lucratif et hors marché.  Pourtant, l’an passé, seulement 835 logements coopératifs et sans but lucratif ont été construits au Québec, cela malgré la promesse de François Legault de livrer rapidement les quelque 15 000 unités annoncées depuis une dizaine d’années par les gouvernements antérieurs, mais pas encore bâties, faute de subventions suffisantes.  Les 260 millions $ de son budget de mars 2019 qu’il a ajouté dans AccèsLogis, ne permettront la réalisation que de la moitié de ces logements, 231 millions $ supplémentaires étant aujourd’hui nécessaires pour tout faire sortir de terre.

Québec doit également mieux équiper les villes, sur tous les fronts.  Elles doivent pouvoir compter sur des investissements récurrents dans le logement social, afin que les sites qu’elles acquièrent et mettent à l’abri de la spéculation soient rapidement transférés à des coopératives et ou des OBNL d’habitation et que d’autres achats soient faits pour de futurs projets.   Pour mieux protéger les logements locatifs et leurs occupants, elles ont besoin d’un registre des logements et des baux, de même que d’un code sur la salubrité décourageant les négligences; et elles doivent disposer des ressources nécessaires pour opérer l’un et l’autre.  Elles doivent pouvoir remettre en état tous les HLM de leur territoire, tout en préservant les loyers.  Et surtout, leurs revenus ne doivent plus être tributaires des investissements immobiliers et des taxes foncières.  Pour éviter les échappatoires, ces mesures doivent être instaurées simultanément, dans toutes les régions.

Tout cela est possible; la population du Québec en a les moyens.  Justement à cause de la vigueur de son économie, l’État québécois engrange des surplus importants; l’an passé, il était de 8,2 milliards $, avant le transfert au Fonds des générations.  Par ailleurs, il peut récupérer des sommes substantielles en luttant contre l’évitement fiscal et l’évasion fiscale, celle-ci étant estimée à plus d’un milliard $ par an.  Une réforme en profondeur de sa fiscalité lui assurerait également les revenus suffisants pour financer la réalisation de 50 000 logements sociaux en 5 ans, notamment en rétablissant la taxe sur le capital pour les institutions financières. 

Québec doit par ailleurs signer une entente avec Ottawa pour obtenir sa juste part des 55 milliards $ prévus pour la Stratégie canadienne sur le logement.

Lutter contre la spéculation et faire progresser le droit au logement est donc possible, avec de la volonté politique.  La population doit en être informée et les éluEs, forcéEs à agir, avant que le fossé entre les bien et les mal logéEs ne s’élargissent davantage.