Pas moins de 22 organismes et une douzaine de locataires ont fait entendre leurs voix, lors de l’audience de la Commission populaire à Québec, le 5 novembre. La pénurie persistante de logements locatifs, l’explosion du coût des loyers, une faible construction d’appartements voués à la location et la transformation d’une partie d’entre eux en condominiums expliquent cette mobilisation exceptionnelle.
La pénurie: un obstacle majeur à l’accès au logement
Il aura fallu douze ans pour que le taux de logements inoccupés, qui devrait être d’au moins 3 % pour être équilibré, atteigne 2,0 % à l’automne 2012. Une pénurie d’une telle durée a eu un impact manifeste sur la hausse des loyers dont le coût a augmenté de 43 % depuis le début des années 2000 dans la région métropolitaine de Québec. Plusieurs organismes en ont témoigné, dont le Comité des citoyennes et des citoyens du quartier Saint-Sauveur qui a constaté que les locataires vivent maintenant des situations qui auraient été jugées inacceptables il y a quelques années.
L’obligation de vivre en colocation a été nommée à plusieurs reprises. « J’ai un revenu de 904,13 $ par mois, mon loyer est de 509 $ et je paie 90 $ d’Hydro. Si j’avais pas de colocataire, ça ne serait pas possible d’arriver », a témoigné une locataire forcée d’abandonner son métier de coiffeuse en raison de problèmes de santé.
Urb’action, un comité de mobilisation citoyenne du secteur de Sainte-Foy-Sillery-Cap-Rouge, a affirmé qu’en raison du prix élevé des logements, les personnes doivent fréquemment couper dans leurs autres besoins essentiels. « Ça prend du logement social car les personnes à faible revenu ne sont plus capables de payer le loyer sur le marché privé », a renchéri l’Association pour la défense des droits sociaux du Québec métropolitain (ADDSQM) qui a démontré l’impossibilité de payer un loyer avec un chèque d’aide sociale.
Le directeur de Lauberivière, organisme qui aide 5 000 personnes itinérantes ou en situation de précarité à chaque année, a rappelé que l’« accès au logement demeure le pire obstacle à la réinsertion des personnes itinérantes ». Les gens qui fréquentent cette ressource doivent souvent mettre l’ensemble de leur revenu sur le loyer, ce qui fait que, même quand ils trouvent un logement, ils doivent continuer à fréquenter Lauberivière. En plus, plusieurs vivent de la discrimination dans l’accès au logement, en raison de leur revenu mais également de leur apparence physique, a témoigné un ex-itinérant selon qui les personnes qui « sont mal arrangées » se font écarter par les propriétaires. Selon le Regroupement d’aide aux itinérants et itinérantes de Québec (RAIIQ), les propriétaires présument que le faible revenu des personnes ne permettra pas de payer le logement.
Selon plusieurs témoignages, le contexte de rareté pousse les propriétaires à être encore plus restrictifs. Cette discrimination est le lot de plusieurs, dont les personnes vivant avec une déficience intellectuelle ou physique, celles qui ont un problème de santé mentale grave ou encore les femmes stigmatisées ou qui pratiquent le travail du sexe. Les personnes ayant un endettement important ou tout simplement pas de carte de crédit ne passent pas aux enquêtes de crédit et se voient donc refusées. Souvent, elles doivent louer au mois et sans bail, ce qui « donne le gros bout du bâton aux propriétaires ».
Des condos qui poussent comme des champignons
La gentrification des quartiers centraux est au cœur des préoccupations de plusieurs. La spéculation a beaucoup de conséquences et se traduit en pressions sur les locataires pour leur faire quitter les lieux, a dit le Comité populaire Saint-Jean-Baptiste, faisant notamment état de plusieurs cas de reprises de logement sous de faux prétextes. La Ligue des droits et libertés – Section Québec a pour sa part témoigné du profilage social de plus en plus présent à l’heure de la revitalisation du centre-ville.
En plus de mentionner la faible construction de logements locatifs, des interventions ont souligné la transformation de plusieurs appartements en copropriétés indivises ou divises. Un locataire du Vieux-Québec a témoigné des tactiques utilisées par son nouveau propriétaire pour vider une maison de 5 logements et la transformer en condos.
La spéculation n’est cependant pas que le lot des quartiers centraux. Elle est aussi bien présente dans les banlieues, dont Sainte-Foy, où l’élaboration en cours d’un Programme particulier d’urbanisme (PPU) et le développement immobilier annoncé préoccupent particulièrement les groupes communautaires du secteur. Il y a également beaucoup de spéculation sur les terrains de l’Université Laval, comme l’a noté la Confédération des associations étudiantes de l’Université Laval (CADEUL). Or, la pauvreté et les besoins en logement social ne sont pas reconnus dans l’arrondissement Sainte-Foy-Sillery-Cap-Rouge, comme en a témoigné le Comité logement d’aide aux locataires (CLAL) qui demande l’adoption d’un règlement obligatoire d’inclusion. La mixité ne fait cependant pas partie des projets du maire Régis Labeaume. Le Centre des femmes d’aujourd’hui l’a accusé de perpétuer le discours de l’ancienne mairesse Andrée Boucher voulant qu’il n’y ait pas de pauvres à Sainte-Foy.
À Beauport aussi, « on voit des condos pousser comme des champignons », remarque l’Approche territoriale intégrée (ATI) Giffard Montmorency. Ce regroupement d’organismes et d’individus se demande aussi pourquoi les logements sociaux sont si rares dans l’Arrondissement Beauport.
Le manque de terrains bien situés pour développer de nouveaux logements sociaux est revenu à plusieurs reprises lors de l’audience, le phénomène du « pas-dans-ma-cour » aussi. Un groupe de citoyennes et de citoyens de la Haute-Saint-Charles a pour sa part démontré comment les préjugés du voisinage ont obligé le remplacement de son projet de coopérative pour personnes seules et familles par un autre pour personnes âgées.
Des droits bien théoriques
Moins connues et souvent plus taboues, des situations portant atteinte à la dignité des personnes et à leur sécurité d’occupation ont été présentées aux commissaires. Une locataire a témoigné de la violation de sa vie privée par son propriétaire qui se permet régulièrement d’entrer chez elle en son absence et sans l’aviser. « Je ne me sens pas chez moi dans mon logement et je ne me sens pas en sécurité non plus. J’aimerais bien avoir un propriétaire qui respecte lui aussi sa partie du contrat et qui ne passe pas son temps à agir comme s’il était au-dessus des lois », a t-elle dit. ROSE du Nord, un regroupement de femmes sans emploi, a pour sa part dénoncé la situation vécue par certaines femmes à faible revenu à qui des propriétaires demandent des faveurs sexuelles en échange du loyer.
La fin prochaine des subventions du gouvernement fédéral aux locataires vivant dans des logements sociaux existants fait aussi vivre des situations d’angoisse à des locataires qui avaient pourtant amélioré leurs conditions. Un membre d’une coopérative du quartier Saint-Roch qui sera touchée à très court terme et dont le loyer va passer de 325 $ à 650 $ par mois se questionne : « Où je vais vivre dans 4 ans, à 53 ans ? Je ne le sais pas. Où on va aller, nous ? Grossir les rangs des personnes sur la liste d’attente de l’OMH ? »
La nécessité d’augmenter le nombre de logements sociaux et la difficulté d’avoir accès à un logement social a été nommée par plusieurs. Un locataire a témoigné avoir attendu 10 ans sur une liste d’attente de HLM ou d’autres logements subventionnés avant d’avoir finalement un logement dans une coopérative. « Il y a des condos, mais pas du logement auquel, nous autres, on a accès. Ça prend des logements sociaux », a dit une locataire « à petit budget » de la Haute-Saint-Charles.