Respecter les droits : une obligation. Présentation du FRAPRU à la Commission d’examen de le fiscalité québécoise

Après avoir manifesté juste avant aux côtés d’autres membres de la Coalition opposée à la tarification et à la privatisation des services publics, le FRAPRU a présenté son mémoire à la Commission d’examen de la fiscalité québécoise, ce 20 octobre. Voici le texte de sa présentation.

Respecter les droits : une obligation

Le FRAPRU est un regroupement de 155 groupes qui lutte depuis 36 ans en faveur du droit au logement et des autres droits sociaux. Si nous nous intéressons de si près à la fiscalité québécoise, c’est parce que le gouvernement du Québec a l’obligation de respecter pleinement l’ensemble des ces droits et qu’il doit y consacrer le maximum de ses ressources disponibles, tel qu’il s’y engagé en endossant le Pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels. C’est pour cette raison que nous prenons ici partie en faveur d’un système fiscal basé sur une réelle redistribution de la richesse et mettant davantage à contribution les ménages et les entreprises qui en ont les moyens.

Permettez-nous tout d’abord une mise au point. Si le FRAPRU a accepté de participer au présent exercice, ce n’est pas parce que nous en reconnaissons la légimité.

Le FRAPRU ne peut accepter :

  • Que l’objectif du gouvernement soit l’atteinte du déficit zéro en 2015-2016, ce qui irréaliste et dangereux à tous points de vue pour la société québécoise et en particulier pour les populations plus vulnérables;
  • Que votre commission, celle sur la fiscalité québécoise, n’a, pour mandat que d’aller chercher 650 millions $, alors que la Commission de révision permanente des programmes, elle, doit identifier 3,2 milliards $ de coupes en 2015-2016;
  • Que la consultation soit faite à la va-vite et qu’elle ne permette pas un débat en profondeur sur la fiscalité et les finances publiques ;
  • Que la composition même de la commission ne reflète pas la diversité des points de vue sur ces enjeux ;
  • Que le gouvernement ose, malgré tout cela, parler de « dialogue social ».

Nous tenons cependant à porter directement devant cette Commission le message que nous avons crié tout à l’heure en manifestant à cette porte. Ce message, c’est dans la rue que nous allons continuer à le faire entendre au cours des prochaines semaines et des prochains mois.

Plusieurs milliards $ volatilisés

Depuis la fin des années 1990, les cadeaux fiscaux et les baisses d’impôt aux contribuables les plus fortunés et aux entreprises nous ont privés de plusieurs milliards $ par année. À elles seules, les baisses d’impôt aux particuliers décidées par les gouvernements péquiste, puis libéral, ont totalisé au moins 5 milliards $ annuellement.

Cette baisse de revenus explique en partie la crise des finances publiques que le Québec vit depuis quelques années et les politiques d’austérité budgétaire successives que les gouvernement imposent à la population depuis 2010.

Les hausses de taxes et de tarifs ne sont pas la solution

Dans les dernières années, les gouvernements successifs ont choisi de hausser les tarifs pour augmenter leur revenu. On a ainsi dégelé le tarif d’électricité patrimoniale, haussé les frais de scolarité, imposé une taxe santé. Ces mesures de fiscalité régressives, basées sur des taxes et des tarifications, ont un poids démesuré sur le budget des personnes à faible revenu et appauvrissent la classe moyenne. Elles contribuent donc à augmenter les écarts de richesse. C’est pour cette raison que nous nous opposons à ce type de mesures.

Nous pouvons faire autrement

Nous avons un autre choix : celui de revoir en profondeur la fiscalité pour qu’elle soit plus équitable et qu’elle mette davantage à contribution les particuliers à haut revenu et les grandes entreprises. Nous n’aurons pas le temps de présenter l’ensemble des mesures fiscales que nous proposons, de concert avec la Coalition opposée à la tarification et à la privatisation des services publics. Nous nous en tiendrons donc à quelques-unes d’entre elles.

  • Imposer les gains de capital de la même façon que les gains d’emplois et ce, autant pour les particuliers que pour les sociétés ;
  • Augmenter le nombre de paliers d’imposition des particuliers ;
  • Rétablir la taxe sur le capital pour les institutions financières ;
  • Augmenter le taux d’imposition des entreprises.

1. Imposer les gains de capital de la même façon que les gains d’emplois et ce, autant pour les particuliers que pour les sociétés

Lorsqu’un individu fait un gain en capital (un profit) à la vente d’une action, d’une obligation, d’un terrain et/ou d’un immeuble, 50 % de ce revenu n’est pas soumis à l’impôt. Pourtant, 100 % des revenus provenant d’un emploi sont imposables. Cette mesure, basée de deux poids deux mesures,  apparaît donc comme discriminatoire car elle favorise une minorité de bien nantie : 57 % de tous les gains en capital ont été empochés par le 1,5 % des contribuables qui gagnent plus de 150 000 $ par année[1].

Nous proposons de soumettre à l’impôt l’ensemble des gains en capital des individus. Ceci  permettrait de récolter 739 millions de $[2], un montant qui reste actuellement dans les poches d’individus sans profiter à la collectivité. De plus, le retrait de cette mesure découragerait les spéculateurs qui achètent et vendent des immeubles à court terme, faisant ainsi un gain fiscal non négligeable et qui contribuent ainsi à faire augmenter le coût des loyers.

La pleine imposition des gains de capital doit également s’appliquer aux entreprises.

2. Revenir à une plus grande progressivité de l’impôt sur le revenu en augmentant le nombre de paliers d’imposition

 

Le système d’imposition québécois est de moins en moins progressif. Alors qu’en 1988, il y avait 16 différents paliers (taux) d’imposition selon les revenus, il n’en reste aujourd’hui que 4. Au fil des ans, le premier palier d’impôt a augmenté, tandis que le dernier palier a diminué.

 

Le Québec n’est pas un enfer fiscal. L’IRIS en fait une démonstration clairedans un document publicié en 2013[3]. Ainsi, au Québec, un couple au salaire moyen est à peine plus imposé qu’aux États-Unis, mais bénéficie de beaucoup plus de services publics gratuits.

 

Aujourd’hui, la progressivité de l’impôt n’est plus assumée par les hauts revenus, mais par les ménages gagnant entre 30 000 $ et 70 000 $. Il faut sans tarder réinstaurer une réelle équité dans la contribution des contribuables les plus fortunés et plus de progressivité. Cela passe par l’augmentation du nombre de paliers d’imposition. L’ajout de 1 seul palier d’imposition en 2012, permettra cette année d’aller chercher 326 millions$. Il faut poursuivre sur cette voie. On pourrait ainsi aller chercher jusqu’à 1 milliard $ de plus par année.

3.   Rétablir la taxe sur le capital pour les entreprises financières

La taxe sur le capital, qui visait à ce que chaque entreprise contribue minimalement aux finances publiques, a été abolie totalement en 2011. Le gouvernement invoquait alors que la taxe pouvait nuire à l’investissement des entreprises manufacturières. Or, au même moment, la taxe sur le capital a également été abolie pour les entreprises financières… pourtant, le même argument ne s’appliquait  pas à elles.

À notre avis, il n’y a aucune raison que les entreprises financières bénéficient de cet avantage fiscal, d’autant que plusieurs font des profits records, année après année. En 2013, les bénéfices nets des six plus grandes banques se sont élevés à plus de 30 milliards $, une hausse de 20 % par rapport à 2011.

Si le gouvernement décidait de réinstaurer cette taxe sur le capital pour les seules entreprises financières, il pourrait augmenter ses revenus annuels d’au moins 600 millions $.

 

4.   Augmenter le taux d’imposition des entreprises

En 2013-2014, les individus ont contribué pour 84 % des revenus autonomes du gouvernement du Québec (sans considérer les transferts fédéraux) tandis que la contribution des entreprises a été de 16 %. Une révision majeure des politiques fiscales s’impose à note avis afin de rehausser la contribution des entreprises et réduire le poids de celle des individus.

 

En 2013, une entreprise québécoise paie un maximum de 26,9 % d’impôt sur ses revenus imposables, après déduction des crédits applicables et sans tenir compte des subventions reçues. Ce taux se répartit entre le fédéral à 15 % et le provincial à 11,9 %[4]. Le taux d’imposition des entreprises était beaucoup plus élevé auparavant. En moins de 15 ans, l’impôt fédéral sur le revenu des entreprises est passé de 28 % à 15 %, l’un des plus bas parmi les pays développés. Nous proposons donc d’augmenter le taux d’imposition provincial des entreprises de 11,9 % à 15 %. Le Québec se comparerait ainsi aux autres provinces canadiennes, où les taux varient entre 10 % et 16 %, et ne serait pas en situation désavantageuse par rapport aux états américains.

 

Conclusion. Avant de couper, il faut aller l’argent là où il se trouve.

Mises ensemble, ces mesures fiscales, et il y en a plusieurs autres, permettraient, à terme, d’aller chercher plusieurs milliards $ par année.

Pour nous, la démonstration est claire :

Il y en a de l’argent.

Il y en a de l’argent

Il faut avoir le courage politique de revenir à une fiscalité réellement progressive et il faut d’abord et avant tout le faire pour être davantage en mesure de respecter pleinement les droits.


[1]                  Centrale des syndicats du Québec. «Imposer plus pleinement les gains en capital va affecter la classe moyenne». En ligne : www.csq.qc.net/nc/dossiers/mythes-et-realites/nouvelle/news/imposer-plus-pleinement-les-gains-en-capital-va-affecter-la-classe-moyenne.html

[2]                  Montant récolté selon les chiffres de 2013. Voir Dépenses fiscales 2013, page Viii.

[3]                  FORTIER, Francis et TREMBLAY-PEPIN, Simon, Les Québécois·es : les plus imposé·es en Amérique du Nord ?, IRIS, 28 février 2013. En ligne : et la publication Les riches sont-ils en danger? En ligne : http://www.iris-recherche.qc.ca/wp-content/uploads/2013/03/note_fiscalite2013-03.pdf

[4]                  Pour les PME, un taux particulier plus bas est prévu, autant au provincial qu’au fédéral, et ce n’est pas de ces entreprises dont il est question ici.