Auteure: Marjolaine Tapin [1]
Le 10e Forum social mondial a eu lieu à Tunis, en Tunisie, du 26 au 30 mars 2013. Au total, c’est plus de 50 000 personnes qui ont participé à presque 1000 ateliers donnés par plus de 4000 organisations de la société civile ainsi qu’à deux longues marches organisées en ouverture et en fermeture du Forum.
Les Forums sont des espaces de rencontre ouverts visant à approfondir la réflexion, le débat démocratique d’idées, la formulation de propositions, l’échange en toute liberté d’expériences et l’articulation en vue d’actions efficaces. S’y rencontrent des instances et des mouvements de la société civile qui s’opposent au néolibéralisme et à la domination du monde par le capital et toute forme d’impérialisme, et qui s’emploient à bâtir une société planétaire axée sur l’être humain [2].
Tenir celui de 2013 en Tunisie n’était pas un hasard. Il a permis de remettre au grand jour ce qui s’est produit depuis le 14 janvier 2011, point de départ de ce qu’on a appelé le « printemps arabe ». Des journalistes, des militantes et des militants du monde se sont déplacés afin d’en apprendre davantage sur le processus de transformation en cours. Les Tunisiens et les Tunisiennes ont pu partager avec des milliers de personnes provenant de centaines de pays différents leur vision du monde, leur refus de se laisser dicter par les puissances économiques mondiales et ainsi prouver qu’un autre monde est en marche.
Le droit au logement et à la terre
Plusieurs mouvements pour le droit au logement et le droit à la terre se sont donné rendez-vous à Tunis. C’est notamment le cas du Réseau international No-Vox qui a organisé plusieurs ateliers auxquels le FRAPRU, qui en est membre, a pris part. Un de ces ateliers avait pour thème « Les mouvements de luttes pour le droit au logement ». C’est plus d’une dizaine de personnes qui ont pris la parole pour échanger sur les enjeux actuels qui minent le droit au logement. Même si chaque pays, chaque région vit des problématiques particulières, certaines réalités communes ont pu être constatées.
Au Portugal, la capacité de payer le loyer a atteint sa limite maximale dans la logique du profit à tout prix et de la forte pression spéculative sur le marché locatif privé. Le taux d’endettement des ménages est tel que le paiement du loyer devient difficile, voire impossible. Les pensions des personnes âgées sont modestes et n’arrivent plus à couvrir les besoins de base. Plusieurs expulsions s’effectuent sans passer par les tribunaux et les démolitions de logements sont fréquentes pour reconstruire des logements luxueux pour lesquelles les anciens occupants ne pourraient pas payer… Ça vous dit quelque chose?
Le Brésil prépare la Coupe du Monde de soccer pour 2014. Ça signifie que des milliers de personnes seront expulsées pour construire des autoroutes qui iront directement vers le stade. Des quartiers entiers seront relocalisés pour permettre la construction de stations de métro. Il n’y a pas de doute, on réorganisera la ville pour se déplacer efficacement, mais qu’en est-il des paysans, des locataires?
Au Caire, en Égypte, de nombreux logements n’ont pas un des deux services de base, soit l’eau courante ou l’électricité. Les taudis sont fréquents et certains logements peuvent s’écrouler à tout moment. Quand il n’y a pas d’eau, ce sont les jeunes filles qui doivent aller la chercher, les privant ainsi de leur droit à l’éducation. Des expropriations ont aussi lieu sous prétexte de « causes nationales ». On ne réalise que plus tard qu’il s’agit en fait d’expulsions pour laisser place à l’industrie du tourisme.
Au Mali, plusieurs personnes vivent ce qu’on appelle des « déguerpissements » (expulsions forcées). Des propriétaires fonciers, reviennent plusieurs générations plus tard avec des actes de propriété et réclament la terre. Alors que des principes de droit « coutumier » devraient s’appliquer, ces propriétaires fonciers chassent les familles qui y habitent pour « recaser » leur terre, c’est-à-dire les séparer en petits lots et les vendre séparément pour faire plus de profits.
Les mouvements sociaux urbains se rencontrent
Après 3 jours intensifs de réflexions, de partage et de propositions, le Forum social propose ce qu’on appelle « les ateliers de convergence ». Ces rassemblements visent à unir les militantes et les militants qui luttent pour des causes communes dans le but de trouver ensemble des solutions. Créée au Mexique en octobre 2000, l’Assemblée mondiale des habitantes et des habitants (AMH) est un de ces espaces. Tout en gardant leur indépendance, des mouvements sociaux urbains y partagent des expériences, élaborent des stratégies et des plates-formes, renforcent la solidarité avec des luttes globales et locales.
En 2011, elle a eu lieu en marge du Forum Social Mondial qui avait lieu à Dakar. L’AMH s’était alors mise d’accord pour dénoncer plusieurs phénomènes, dont les pressions foncières et immobilières sur l’habitat des secteurs les plus pauvres, l’accaparement des terres, l’inaccessibilité des villes, la hausse des loyers comparée à la stagnation des revenus, la privatisation des espaces publics et les méga projets et méga évènements.
Un appel à la solidarité
Si de tels rassemblements ont lieu d’être, c’est qu’ils créent des liens de solidarité entre les peuples. Ils permettent de partager des expériences, des bons coups. Ils font la lumière sur les violations des droits partout dans le monde, mais surtout mettent les projecteurs sur ces personnes à travers le monde qui refusent de se faire dicter leur vie par des principes de priorités au profit et de mondialisation.
Des actions de solidarité sont également possibles entre les rencontres. Ainsi, No-Vox a fait appel en juin dernier à ses membres pour soutenir par voie de lettres ou de communiqués un sit-in organisé à Bamako, au Mali. Durant le Forum de Tunis, ses membres ont dénoncé l’arrestation de militantes et de militants de l’Angola qui avaient manifesté en faveur du droit au logement. Une action spontanée a été organisée en leur faveur, ce qui a permis la réalisation d’une vidéo de solidarité.
Le Forum social mondial demeurerait cependant un coup d’épée dans l’eau si on ne partageait pas les échanges en rentrant à la maison et si ceux-ci ne contribuaient pas par la suite aux luttes qui se déroulent dans les différents pays, dont celle pour le droit au logement.
Notes
[1] Marjolaine Tapin, ex-présidente du FRAPRU, l’a représenté lors des activités tenues à Tunis.
[2] Charte du FSM, en ligne : www.alternatives.ca/sites/www.alternatives.ca/files/pamphlet_fsm2013.pdf