De 15 000 logements sociaux à 15 000 logements abordables… Pourquoi un tel glissement ? Inquiétant !

Lettre ouverte du FRAPRU à Pauline Marois, cheffe du Parti Québécois. 

Madame Marois,

Vous êtes la première cheffe des trois principaux partis à vous engager en matière de logement, préoccupation fondamentale pour la population, s’il en est une.  Le FRAPRU apprécie.  Vous promettez une politique en habitation; ce serait une première.  Mais vous reculez apparemment sur le développement du logement social en promettant aujourd’hui « 15 000 logements abordables au cours des 5 prochaines années ».  Pourquoi ce glissement? Pourtant, selon une étude récente menée par la Société d’habitation du Québec, non seulement le logement social répond-t-il aux besoins des ménages mal-logés, mais il contribue notamment à lutter contre l’itinérance, à réduire la pression sur les autres programmes sociaux.

Les besoins sont là :  785 750 ménages québécois doivent consacrer plus que la norme de 30 % de leur revenu pour se loger; de ce nombre, 61 % sont locataires et ont un revenu médian d’à peine 16 261 $ par année.  Pour 227 875 d’entre eux, c’est plus de la moitié du revenu qui est englouti dans le loyer.  Parmi les communautés autochtones, les problèmes de surpopulation et d’insalubrité prennent des proportions  hallucinantes, notamment au Nunavik:  à Salluit, 53 % des ménages vivent dans des logements trop petits et à Kuujjuaq, 18 % vivent dans des logements nécessitant des rénovations majeures.

Cette situation exige des mesures ambitieuses et structurantes, parce que de tels dénis du droit au logement a des conséquences désastreuses sur d’autres droits fondamentaux comme la santé et l’éducation.  C’est pourquoi le FRAPRU réclame notamment 50 000 nouveaux logements sociaux en 5 ans.  De fait, le logement social, sans but lucratif, permet de sortir l’habitation de la logique du profit et met les locataires à l’abri des reprises de possession, des rénovations cosmétiques et des hausses de loyer abusives, comme celles qu’on a connu entre 2000 et 2013 (qui étaient de 46 % à Québec, pour les logements de 2 chambres à coucher, de 43 % à Montréal, de 37 % à Gatineau et de 35 % à Sherbrooke).

Dans le budget que votre gouvernement a déposé juste avant le déclenchement des élections, vous promettiez 3250 nouveaux logements sociaux pour l’année 2014-2015, dont 500 destinées aux personnes itinérantes.  Cela s’inscrivait en droite ligne avec le programme adopté par le PQ en 2011 qui s’engageait à régler le « problème criant de logements sociaux chez les communautés autochtones (…), particulièrement au Nunavik » et à « adopter un plan de développement (et) de construction de logements sociaux (…) dans toutes les villes du Québec ».  Vous alliez même jusqu’à promettre l’introduction d’une obligation légale aux promoteurs immobiliers de contribuer à un fonds de financement du logement social.   Toujours dans le même sens, vous avez promis, durant la campagne de 2012, de « construire au moins 3000 logements sociaux par année, pour loger (les) familles, ainsi que les personnes vulnérables et itinérantes ».

Dans la plateforme que vous venez de lancer, l’ambiguïté s’installe.  Il est maintenant question de construire des logements abordables et « de soutenir la construction de logements sociaux pour les personnes en situation d’itinérance ».  Dans vos engagements pour Montréal, l’équivoque persiste quand vous promettez « la construction de 7500 logements sociaux, communautaires, abordables et étudiants au cours des 5 prochaines années ».

Le FRAPRU n’insisterait pas pour obtenir des éclaircissements là-dessus si la notion de logement abordable n’avait pas mené à d’importantes dérives au cours des dernières années.  D’abord, parce que la notion « d’abordabilité » (excusez l’anglicisme) est pour le moins élastique; ce qui est abordable pour les uns, ne l’est pas forcément pour les autres.  Mais plus important, en 2002, le gouvernement du Parti Québécois a lancé des programmes de subventions au logement abordable qui ont abouti à la production de logements avec des loyers de plus de 1000 $ par mois.

Quant aux silences assourdissants (sic) de Philippe Couillard, du Parti libéral, et de François Legault, de la Coalition Avenir Québec, sur le thème du logement, le FRAPRU ne baisse pas les bras.  Il continuera de les talonner jusqu’à ce qu’ils prennent l’engagement de respecter concrètement ceux du Québec à assurer le droit à un logement suffisant à toute personne, pris lors de la ratification, en 1976, du Pacte international des droits économique, sociaux et culturels de l’ONU.  Il relancera aussi votre parti, madame Marois, qui doit, de toute façon, revoir considérablement ses objectifs compte tenu de l’ampleur des besoins.

Puis, à la veille du scrutin, le FRAPRU rendra public son bilan des engagements pris par les principaux partis.  Espérons que les nouvelles seront meilleures pour les mal-logéEs du Québec.

Marie-José Corriveau,
porte-parole du FRAPRU sur les dossiers québécois.

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